• Des pistes caravanières aux bungalows diaboliques

    Grâce au film « Le temps des gitans » du réalisateur serbe Emir Kusturica, le public a eu un aperçu de ce que furent dans les années 70 et 80 les réseaux mafieux qui exploitaient des enfants rroms de la Yougoslavie d'alors.  On retiendra les images de ces camps de caravanes en Italie, où étaient maintenus les enfants contraints à mendier par des crapuleux adultes, parfois de leur famille lointaine. Ce temps là est révolu, mais le film est toujours là pour nous le rappeler. Il est là aussi pour nous montrer comment des enfants qui n'avaient jamais vu une caravane auparavant ont du y vivre. Un deuxième épisode commença au début des années 90, lorsque des Rroms roumains venaient en France accompagnés par des passeurs qui les plaçaient dans des caravanes. Là encore, il leur a fallu s'adapter à cet habitat, - si tant est qu'on puisse appeler ainsi les caravanes délabrées et sans roues où ils étaient relégués par leurs passeurs, - mais cela n'a pas duré. Une fois acquittés de leurs dettes à l'égard des passeurs, ils se sont construit des petites cabanes en matériau de récupération et essaient toujours de survivre dans les abords des grandes villes françaises en travaillant au noir dans le bâtiment, en récupérant de la ferraille en vendant des journaux ou des fleurs...  

    Depuis 2002, la Roumanie et la Bulgarie ont signé des accords avec les pays Schengen, permettant à tous les porteurs de passeports de ces deux pays de circuler librement et sans visa dans l'espace Schengen pour une durée inférieure à trois mois. Cinq ans plus tard, ces pays rejoignaient l'Union européenne et le contrôle aux frontières est supprimé. On vient donc de Sofia ou de Bucarest à Paris comme si on y venait de Marseille, juste en ayant sa carte d'identité sur soi.

    Malheur !

    C'est précisément la période où l'action gouvernementale se mesure avec des chiffres. Evidemment, la règle est plus stricte en matière d'immigration qu'en matière d'emploi ou de pouvoir d'achat. En août 2007, peu de temps après avoir pris ses fonctions ministérielles, M. Hortefeux prépare le terrain en disant que la réalisation de l'objectif chiffré en matière d'expulsion d'étrangers sera difficile à atteindre en raison de l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'Union européenne, les ressortissants de ces deux pays ayant représenté environ un tiers des expulsés en 2006. Enorme ! Cela voudrait dire que 8000 Roumains et Bulgares avaient été expulsés en 2006, tout en sachant qu'en vertu des accords internationaux ils avaient le droit de revenir, et effectivement ils sont revenus. Et parmi les 8000, quasiment tous sont des Rroms. Un calcul simple du coût de ces mesures nous amène au chiffre bien rond de 80 millions d'euros. Combien de logements sociaux aurait-on pu construire avec cet argent jeté dans les abîmes de la démagogie ? Ceci dit, M. Hortefeux ne baisse pas les bras. Il continuera à expulser les Rroms roumains et bulgares, même citoyens européens. En 2007, ils représenteront environ 3000 expulsés, systématiquement revenus en France et encore 30 millions d'euros.  Comment fait-il pour expulser des citoyens européens ?

    Tout est une question de transition. Tout européens qu'ils soient, les Roumains et les Bulgares relèvent d'un statut hybride qui ressemble beaucoup plus au régime des étrangers extracommunautaires qu'à celui des communautaires. La France a bien pris soin de limiter les droits de ces nouveaux européens, notamment en ce qui concerne le droit au travail, dont dépend indirectement aussi le droit au séjour. Et voici comment on joue pour atteindre les chiffres d'expulsion, avec des gens qu'on expulse même plusieurs fois dans l'année.

    Et pour prendre quand même une allure d'innovateur, de temps en temps, avant d'expulser, on pioche un certain nombre de familles dans le tas, qu'on prétend « aider à s'intégrer ». Et on a inventé ainsi les « villages d'insertion », ces espèces de centres fermés et gardiennées qu'on ose appeler ainsi ! Ces MOUS (maîtrise d'œuvre urbaine et sociale) dont on ne voit pas bien le caractère urbain ou social : les sites sont gardiennées 24 h/ 24 et l'accès est interdit à toute personne extérieure, sauf autorisation spéciale préalable. Les « socialement accompagnés » qui y vivent n'ont pas d'autorisation à travailler par la préfecture qui est pourtant partie prenante aux projets. Les bonnes idées des Rroms qui y vivent, y compris en matière d'entreprenariat, y sont étouffés faute de « titres de séjour ». Le maintien de ceux qu'on présente comme les « heureux élus » dans une situation de pression constante, où même les stages de formation sont ressentis comme des contraintes, comme le prix à payer pour rester dans les bungalows des « villages d'insertion », est une bombe à retardement. On ne s'intègre pas plus que ses frères ou cousins qui vont de bidonville à bidonville au hasard des expulsions. On ne sait donc pas ce que ces initiatives donneront dans quelques années, mais en attendant, on sait que « bengalo » en rromani veut dire diabolique.

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